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Sept propositions pour une Europe électrique efficace et dynamique (Jan-Horst Keppler, Dominique Finon et Patrice Geoffron)
L’électricité est une activité très singulière et délicate à déployer: ce produit de première nécessité est difficilement stockable, fait l’objet d’une demande inélastique à court terme et requiert un processus de production hautement capitalistique… Ces caractéristiques ont conduit à confier, pendant près d’un siècle, l’offre d’électricité à des monopoles publics planifiant les investissements et reportant coûts et risques sur les usagers. Cibles de choix de la critique libérale du rôle de l’État, les secteurs électriques européens ont été déréglementés à partir des années 1990, pour gagner en efficacité dans l’exploitation des infrastructures et en discernement pour les investissements à venir, tout en coordonnant mieux les parcs nationaux par l’échange, le tout au bénéfice (espéré) des consommateurs industriels et des ménages. Cette nouvelle architecture devait permettre des solidarités pour la sécurité de fourniture et – à mesure de l’émergence d’une contrainte climatique – contenir les émissions de carbone en Europe. Amorcé avec la première directive de 1996, cet aggiornamento n’est pas à son terme.
Même si une transformation d’une telle ampleur appelle la très longue durée, les Européens attendent légitimement, au bout de quinze années, des bénéfices identifiables en matière de prix, d’innovation dans les services associés, de performance environnementale ou de sécurité de fourniture… Mais, plutôt que l’évidence du progrès, la complexité – voire la confusion – caractérise aujourd’hui l’Europe électrique. L’insertion de renouvelables intermittentes – résultant des objectifs du 3X20 – débouche sur des systèmes délicats à piloter et ouvre sur des dispositifs – tels que les obligations d’achat à tarifs garantis – qui de facto placent ces équipements « hors marché ». Effets en chaîne, l’ordre de mérite de moyens de production conventionnels se trouve repoussé de nombreuses heures, menaçant l’équilibre économique des filières bas carbone de grande taille et des centrales en cycles combinés à gaz. Et comme le marché des quotas de CO2 ne délivre pas un signal-prix cohérent pour les investisseurs, l’incertitude sur l’avenir de l’Europe électrique domine, la seule garantie étant que la facture des consommateurs se trouvera renchérie, avec un effet mécanique sur une précarité énergétique déjà amplifiée par la crise économique.
La voie est étroite, mais il nous paraît possible, dans l’espace électrique européen, d’associer coordination publique, régime de marché et équité sociale. Les sept recommandations qui suivent sont la contribution des économistes de la Chaire European Electricity Markets à cette recherche d’équilibre.
- Mieux articuler les exceptions transitoires au niveau national et l’intégration par la concurrence
Les Européens gagneront à adopter une perspective commune sur les défis électriques. Les avantages d’une plus grande coordination de parcs complémentaires dépassent largement les contraintes d’une autonomie de décision réduite. Toutefois, devant la complexité du secteur et compte tenu des héritages du passé, des compromis ont dû être élaborés avec nombre d’États Membres. Pour avancer, il importe d’accepter qu’au-delà de la logique d’intégration des marchés par des échanges concurrentiels, des compromis locaux (imparfaits mais tenant compte des réalités nationales) s’établissent dans les États Membres, tout en étant attentifs à leur caractère transitoire.
La France, située au cœur des marchés européens, peut-être prise en exemple pour illustrer l’intérêt collectif à l’échange d’électricité entre « voisins ». La France exportait 14 % de sa production (essentiellement nucléaire en base) en 2011, tout en assurant 4,4 % de sa consommation par l’importation, souvent aux heures de pointe et super-pointe comme pendant la période de grand froid de février 2012. Grâce à la complémentarité de son parc de production avec celui de ses voisins, notamment l’Allemagne, elle réalisait cette même année un chiffre d’affaires net d’environ 2,5 milliards d’euros (4 milliards d’euros de recettes avec l’exportation de 75,4 TWh de base, mais 1,5 milliard en coût à l’importation de 19,7 TWh) et économisait environ 500 millions via l’accès à un prix plus faible que le coût marginal dans l’Hexagone. Une (hypothétique) autarcie électrique de la France induirait ainsi une dégradation de la balance commerciale et une élévation du coût d’approvisionnement en électricité des fournisseurs français sur le marché de gros.
Pourtant, la cohérence au sein de l’Europe électrique ne peut être appréciée uniquement au travers d’une photographie des échanges, mais nécessite également de considérer les évolutions entreprises concomitamment entre les espaces interconnectés. Du côté allemand tout d’abord, l’Énergiewende repose essentiellement sur un schéma de développement « hors marché » des énergies renouvelables intermittentes. Via des tarifs d’achat garantis qui avoisinent désormais un coût annuel de 25 milliards d’euros, 50 GW d’éolien et de photovoltaïque étaient déjà installés fin 2014. Cette stratégie de transition accélérée conduit aussi à subventionner la construction rapide de centrales fossiles flexibles pour remplacer le nucléaire (faute de valorisation suffisante du service de flexibilité sur les marchés) et à obliger les fournisseurs à proposer des contrats spéciaux de vente aux industriels électro-intensifs. Du côté espagnol, la « stratégie » de développement rapide des renouvelables a induit une dette électrique de 25 milliards d’euros (qui s’ajoute à la dette publique) faute d’une allocation cohérente des coûts entre producteurs et consommateurs. Le Royaume-Uni, très impliqué dans la réalisation de ses objectifs climatiques et contraint à abandonner ses centrales à charbon vétustes à horizon 2016, est lancé dans une vaste réforme de son secteur électrique à l’issue encore incertaine, processus basé sur des arrangements contractuels de long terme couvrant les coûts complets des équipements non carbonés. Cette orientation revient de fait à tourner le dos au marché électrique pour le développement de la majorité des équipements de production, alors même qu’un prix plancher du carbone rapidement croissant (de 15 livres /tCO2 en 2013 vers 70 livres/tCO2 en 2030) est adjoint au paquet de mesures. Cette combinaison de mesures montre à l’évidence que, même avec un signal prix du carbone prévisible et élevé, les acteurs de marché ne font guère confiance au prix du marché électrique accru par un prix du carbone élevé pour décider d’investissements non carbonés.
Le cas de la France donne également à observer une problématique complexe : il a été décidé de laisser aux consommateurs, industriels comme ménages, la majeure partie de l’avantage provenant de son parc de production nucléaire qui résulte d’un choix autant politique qu’économique fait grâce à un quasi-consensus, et ce avant les réformes de libéralisation. Bruxelles aurait, certes, souhaité une réallocation des capacités industrielles, à la « britannique » ou à « l’italienne », par dispersion des équipements de production d’EDF entre plusieurs producteurs, pour laisser émerger une concurrence effective en infrastructures. Mais cela n’aurait rien changé à l’émergence d’une « rente nucléaire » résultant d’un alignement du prix de gros européen – et donc français – sur la centrale marginale à coût variable élevé d’un marché voisin. Donc, même en présence d’une structure de production plus dispersée dans l’espace électrique national, les prix auraient été tirés vers le haut (par exemple, en 2008, l’année où le prix moyen a été le plus élevé, la différence aurait été du simple au double: 70 à 80 euros/MWh, à comparer aux 30-40 euros répercutés dans les tarifs). Un statu quo concernant le parc de l’opérateur historique aurait permis à ce dernier de dégager plusieurs milliards d’euros de cash-flow net supplémentaire, ressources susceptibles d’alimenter une stratégie d’acquisitions en Europe. Une « windfall profit tax » aurait permis à l’État de s’approprier cette rente paradoxalement révélée par l’intégration de marchés libéralisés. Les ressources ainsi levées auraient pu financer des programmes ambitieux d’efficacité énergétique, voire de grands projets de production électrique décarbonée (éolien off-shore, CSC, etc.) ou des démonstrateurs pour des dispositifs au stade de la R&D – sous réserve de pérennisation d’un tel dispositif, sans à-coups liés au cycle politique.
Le compromis trouvé avec la Commission européenne qu’entérine la loi NOME votée fin 2010 (et dont l’effet « transitoire » durera jusqu’en 2025) consistait à réguler les kWh de la production nucléaire française en contraignant EDF à céder à ses concurrents jusqu’à 20-25% de cette production à prix coûtant et à vendre le reste à sa propre clientèle à ce même prix. Cette loi entérine donc un choix politique de cession de la rente du nucléaire historique aux ménages et industriels français, tout en créant un espace économique pour le développement de fournisseurs alternatifs, surtout après 2016 lorsque les tarifs aux industriels et aux consommateurs tertiaires seront supprimés et que le tarif offert aux ménages verra sa « composante énergie » alignée sur le prix de l’ARENH. À long terme, à mesure du besoin de rénovation des réacteurs existants, l’accès au parc nucléaire sera renchéri. L’important est que, malgré tout, le financement du renouvellement de centrales de semi-base et de l’investissement éventuel dans du nouveau nucléaire est assuré par la rémunération du complément de fourniture que tous les concurrents répercutent dans leur offre de prix en se référant au marché de gros.
Au-delà de la complexité de ces montages institutionnels nationaux, il nous paraît essentiel de convaincre les consommateurs européens des avantages de l’intégration des marchés européens de l’électricité, dans un contexte de transition énergétique ; d’admettre que des arrangements locaux dérogeant aux principes d’intégration par la concurrence sont admissibles, à la condition de revêtir un caractère transitoire… et sous réserve de s’assurer que l’intégration par la concurrence produit bien des effets de long terme cohérents.
Pour autant, si un régime transitoire « d’exception à la règle » est nécessaire, il ne saurait per se être suffisant. L’interdépendance croissante des systèmes et marchés fait naître des conflits de prérogatives entre pouvoirs décisionnels nationaux et européens, de sorte que le rapport de forces est devenu l’outil de « coordination » commun. L’Europe électrique requiert aussi des clarifications institutionnelles.
- Mettre en cohérence coûts, prix et tarifs électriques
Tandis les prix du marché de gros baissent… les coûts de la fourniture électrique augmentent, sur fond de modernisation des réseaux et de subventions aux ENR. La France, qui régule en prix et en quantité son marché de gros et préserve des tarifs relativement « étanches » par rapport à ces mouvements de prix, doit se convaincre de la nécessité d’un changement. Il importe de convaincre qu’un système électrique rénové et durable requiert des prix de marché et des tarifs cohérents avec les « coûts complets » des techniques à développer … sauf à défier les lois de l’économie.
Dans tous les pays européens, l’augmentation de la demande, le vieillissement du parc et la priorité accordée à l’enjeu climatique induisent des investissements importants de renouvellement, dans un contexte de hausse tendancielle des coûts unitaires. Pourtant, au moment où ces nécessités apparaissent, les prix de gros moyens baissent sur le marché intégré en raison de la profusion d’électricité d’origine renouvelable – adossée à des dispositifs d’achat garantissant la couverture de leurs coûts complets sur 15-20 ans – alors que les coûts variables des renouvelables intermittentes sont nuls. Cet afflux conduit à déplacer l’équilibre horaire du système de très nombreuses fois sur l’année et à fréquemment évincer les centrales conventionnelles du marché horaire.
Cet effet de ciseau entre coûts et prix conduit à interroger la soutenabilité du système en France, comme dans les pays voisins. Les ménages, les PME et les industriels ont jusqu’ici été protégés des hausses des prix du marché de gros. Mais ces tarifs sont non seulement décrochés du niveau des prix de gros, mais n’assurent pas une rémunération normale du capital – par une couverture du « coût complet économique ». Alors que ce système est prorogé par la loi NOME, toutes les composantes des coûts (transport, distribution, CSPE) sont orientées à la hausse. Il y a une urgence à admettre que l’ère de l’électricité bon marché touche à sa fin pour quatre raisons combinées.
Tout d’abord les objectifs contraignants de la politique européenne en matière climatique et de renouvelables (notamment le 3X20 pour 2020).
Ensuite, l’impératif de maintenir un haut niveau de sécurité de fourniture. Ce dernier est fragilisé à la fois par le développement des productions intermittentes dans les marchés ouest-européens et la forte part de marché du chauffage électrique en France (avec un aléa de demande en pointe important).
Puis vient la nécessaire densification des réseaux de transport et des interconnexions pour faciliter les échanges de court terme et des services de flexibilité associés aux besoins de suppléer au caractère intermittent des ENR.
Enfin, il faut citer la transformation des infrastructures de distribution en réseaux actifs (smart grids) pour intégrer l’injection décentralisée d’énergie par les ENR, développer les programmes d’effacement, insérer les nouveaux usages (comme le véhicule électrique) et rendre les consommateurs sensibles au prix par les informations qui leur seront transmises via les compteurs communicants.
Cette augmentation des tarifs ne relèvera pas nécessairement du choc si elle est amorcée rapidement pour pouvoir lisser la progression des tarifs du transport, de la distribution et de la taxe finançant le surcoût des ENR électriques et si le développement d’incitations à des changements de comportements et les progrès de l’information ouvrent sur une meilleure de maîtrise de la demande.
Ce débat, au-delà du bon alignement entre coûts et prix, soulève aussi des problèmes multiples concertant l’allocation des coûts de la transition énergétique. Le surcoût du soutien aux ENR (assumé par les opérateurs obligés de racheter ces productions) est financé en principe par une taxe croissante sur les MWh dont la répartition est différente entre consommateurs d’un pays à l’autre (passage de 15 à 20 euros/MWh pour tous les consommateurs en France, déjà 53 euros/MWh en Allemagne, mais sur les seuls ménages, etc.). De même, l’allocation des coûts que les ENR entraînent pour le système (équilibrage, renforcement et extension du réseau, capacités de réserve) mérite d’être débattue : doivent-ils être assumés par ceux qui les causent, portés par les opérateurs historiques qui assurent de facto le rééquilibrage du système là où leur parc est dominant, ou doivent-ils être socialisés au nom de l’intérêt collectif ? En France, le coût du raccordement d’une installation renouvelable est à charge du producteur, alors que l’Allemagne faisait encore porter cette charge sur le gestionnaire de réseau début 2013. Autre sujet d’investigation : une absence de signaux-prix de raccordement permettant une localisation efficace des unités ENR plus ou moins décentralisées. Schématiquement, la localisation de 10 MW de photovoltaïque dispersé sur des toits individuels en rural coûte au réseau de distribution beaucoup plus cher que si ces 10 MW sont localisés sur un même site (toits de centre commercial, etc.) en milieu suburbain.
Ces questions des coûts et d’équité sociale se posent avec urgence dans un marché dénué de repères. Décideurs nationaux et européens doivent agir pour éviter que ne s’instaure une confusion croissante entre acteurs des systèmes électriques et juguler les menaces sur la sécurité de fournitures induites par une montée non coordonnée des intermittences.
- Calculer le « coût complet » de la transition énergétique
Malgré l’attrait des renouvelables en matière de préservation de l’environnement, substituer à grande échelle le nucléaire par des renouvelables impliquera un parc de production plus coûteux à exploiter et accroîtra durablement les émissions de gaz à effet de serre par le besoin de centrales fossiles répondant au besoin de flexibilité. Tout processus de transition doit être engagé avec discernement, quand le système initial repose sur d’importants équipements non carbonés à long cycle de vie, comme c’est le cas en France. Sur ce socle, des politiques ciblées sur d’autres technologies bas carbone sont indispensables devant l’impuissance à faire émerger en Europe un signal-prix du carbone efficient à long terme.
Les manuels théoriques d’économie des marchés électriques démontrent qu’en concurrence parfaite, les marchés sont efficients pour orienter les choix des acteurs vers un mix optimal à long terme, analogue à celui qui naîtrait d’une planification. Les moyens de production à coût fixe élevé et coût variable faible trouvent les recettes nécessaires par les rentes horaires qu’ils dégagent, quand la dernière centrale appelée pour couvrir la demande est un équipement à coût de combustibles élevé. Les unités de pointe à coût marginal élevé sont censées être valorisées par les prix élevés des périodes de pointe et d’extrême pointe.
Ce bel édifice théorique est mis à mal par la priorité donnée par des acteurs, sensibles aux risques, à l’investissement dans des cycles combinés à gaz peu capitalistiques, comme largement observé dans l’OCDE. Le marché électrique libéralisé n’est efficace que pour des optimisations de court terme des équipements, mais peine à orienter les investissements sur le long terme de manière satisfaisante. Et, comme on l’observe, il n’est pas évident qu’un prix du carbone erratique émanant d’un mécanisme de marché puisse peser sur les choix d’investissement de façon cohérente. Ces difficultés ont conduit à recourir à des politiques spécifiques par technologie bas carbone, consistant à les placer « en incubation » hors marché en leur assurant un revenu garanti de long terme.
Cette politique a quatre effets négatifs en statique et en dynamique qui commencent à être un peu mieux compris.
Si ces capacités se développent dans une situation surcapacitaire avec des prix moyens de marché à 40-50 euros/MWh, par rapport à une situation à l’équilibre où les prix moyens s’établiraient autour de 70 euros/MWh, la subvention par MWh est amplifiée (par exemple si le tarif d’achat est de 80 euros, la subvention est de 30 à 40 euros/MWh au lieu de 10 euros/MWh).
À un instant donné une telle politique focalisée sur différentes technologies de niveaux de maturité différents conduit à une différenciation très marquée des coûts d’évitement des émissions de CO2. Les gouvernements doivent donc veiller à réduire en diminuant le niveau des subventions à la production et à contingenter annuellement le développement des plus coûteuses lorsque la subvention est mal calibrée (voir le cas récente du photovoltaïque).
Les politiques de promotion hors marché de ces équipements bas carbone, qui, par nature, ont des coûts variables bas, tendent à s’auto-entretenir en faisant baisser irrémédiablement le prix moyen du marché de gros et en augmentant la volatilité des prix horaires. Ces deux effets rendent difficile, voire impossible la suppression de dispositifs de soutien pour laisser le seul marché pour le développement de telles technologies.
Pour un investisseur en équipements de production sans subvention à la production, l’incertitude sur les parts de production non carbonée à bas coût variable dans le système pendant leur période de recouvrement des coûts fixes (qui résulte de l’inconnue des résultats de ces politiques bas carbone et de celle de la croissance de la demande), rend tout investissement très risqué.
Ces agencements de politique laissent aussi d’autres problèmes importants non résolus. Dans le contexte européen actuel d’exploration de règles des marchés électriques plus concurrentiels (cf. les projets autour du Modèle-Cible), les investissements en équipements décarbonés fonctionnant en base, qui ne bénéficient pas de tarifs de rachat garantis deviennent toujours plus difficiles, par rapport aux investissements en équipements carbonés à coût fixe faible (on pense bien sûr aux CCGT). Or la France aura besoin d’acclimater de nombreuses technologies nouvelles, bien au-delà des ENR décentralisées sur lesquelles sont concentrées les attentions : renouvelables centralisées (éolien off-shore, centrales biomasse), centrales thermiques avec captage du gaz carbonique (CO2), nouveau nucléaire sont autant de filières susceptibles de prendre leur part d’une transition énergétique vers un modèle encore moins carboné, relativement moins nucléarisé, sans rien céder sur la sécurité de fourniture.
En face de ces biais, qui entremêlent réglementation et marché, il est toutefois possible de poser quelques jalons utiles, au service d’une transition énergétique soutenable.
Le désalignement des tarifs et des prix finaux avec le prix de gros du marché européen (perpétué avec la loi NOME) limite les capacités d’autofinancement des énergéticiens. Cette situation nécessite de trouver des sources alternatives pour le financement de nouveaux investissements dans les productions non carbonées comme les projets d’ENR de grande taille ou bien encore dans l’efficacité énergétique comme le programme de rénovation thermique de l’habitat existant.
Une centrale nucléaire existante au capital déjà amorti, supervisée par une autorité de contrôle indépendante et compétente est la source d’électricité la moins chère, même en incluant des provisions importantes couvrant les coûts de stockage des déchets et du démantèlement, voire le risque assurantiel. Dans une contexte de fortes contraintes sur les ressources de la collectivité, le parc nucléaire actuel constitue un patrimoine économique qui ne peut être déclassé sans une réflexion approfondie sur le coût et les contraintes de gestion des autres options développées à la même échelle, notamment le déploiement des ENR « à l’allemande ».
Une baisse de la contribution de l’énergie nucléaire en-deçà des 50% à horizon 2025 entraînerait une augmentation des émissions de CO2 du secteur électrique par MWh. En absence d’un saut en matière de gestion de la demande (via des mécanismes d’effacement) ou d’un progrès en matière de stockage (hypothétique à cet horizon), ce sont en effet des équipements à gaz qui apporteront la solution de sécurisation de la fourniture requise par l’apport intermittent de 30, 40 ou 50 GW d’éolien et de photovoltaïque, en plus des aléas de la demande électrique en hiver en France et sur la plaque continentale européenne.
Le calcul économique, compte tenu de l’importance des enjeux, devra bien « capturer » l’ensemble des surcoûts associés à un déploiement massif d’ENR pour responsabiliser économiquement les producteurs intermittents : besoin de flexibilité pour l’équilibrage du réseau électrique, maintien d’une capacité de réserve programmable accrue en pointe, investissements additionnels dans les réseaux de transport et de distribution (surélevés par l’absence de signaux de prix pour la localisation efficiente de ces nouvelles unités ENR).
Quant aux espoirs d’une politique industrielle basée sur les renouvelables, l’expérience montre que les subventions parfois massives ont jusqu’ici surtout financé une surcapacité mondiale dont les industriels européens ont été les premiers à faire les frais, faute de compétitivité par rapport à la Chine dont les contraintes économiques, sociales et environnementales sont différentes.
Ni la libéralisation du marché, ni un virage vers les renouvelables ne peuvent être des « fins ». Ils ne peuvent être au plus que des « moyens » dans le cadre d’une démarche éclairée quant aux objectifs de long terme et à la soutenabilité économique et sociale des différentes étapes de la transition. La crise économique qui sévit durablement en Europe vient renforcer cette exigence. La recherche d’efficience sociale pour le bénéfice des consommateurs servis par des entreprises industriellement et financièrement viables, capables de garantir une haute sécurité de la fourniture du service électrique doit rester le repère principal, surtout si des options bas carbone moins coûteuses que le « tout renouvelable » existent. Nous plaidons pour un changement progressif et débattu, qui tienne compte des réalités complexes de l’industrie électrique, et qui préserve la diversité du bouquet énergétique en s’appuyant sur le patrimoine d’actifs de production existants non carbonés.
- Délivrer les marchés d’un tropisme « court-termiste » pour assurer les investissements
Les flux d’échanges sur les marchés électriques sont soumis à la « tyrannie » du court terme, alors qu’il s’agit d’accompagner la transformation de grands systèmes très intensifs en capital. L’atteinte d’objectifs à long terme suppose de prendre un peu de distance avec un régime centré sur des marchés de court terme et une vue simpliste de la concurrence. Une approche plus équilibrée consisterait à promouvoir des contrats de long terme, sous réserve d’une innocuité en termes des barrières à l’entrée ou d’opacité. L’attribution aux enchères de ces contrats sur une base transparente pourrait être un des éléments du cahier des charges et redonnerait un espace économique pour le financement d’équipements dédiés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie électrique et à la sécurité de fourniture.
La lutte contre le changement climatique nécessite la mise en œuvre d’équipements intensifs en capital : unités ENR de petite et grande taille, centrales à combustibles fossiles avec captage et séquestration du carbone, centrales nucléaires si acceptation des populations. Les marchés électriques horaires envoient des signaux de prix alignés sur les coûts variables de la dernière centrale, mais ne permettent pas d’ajuster les revenus moyens annuels des investisseurs sur les coûts complets de chaque nouvel équipement pour assurer un recouvrement des coûts fixes des unités de production bas carbone, tandis que les marchés de futures ne peuvent alléger cette difficulté, car les durées d’installation auxquelles s’additionnent celles de recouvrement des coûts fixes portent sur deux ou trois dizaines d’années, soit bien au-delà de leur horizon temporel.
Dit autrement, le prix du marché en moyenne annuelle n’est jamais en concordance avec les coûts complets des producteurs et ce d’autant moins qu’ils sont capitalistiques comme c’est le cas des équipements bas carbone… Rien n’assure que la somme des « rentes horaires » permette de couvrir les coûts fixes de ces équipements,, même en tenant compte de leurs niveaux élevés pendant les périodes de pointe et d’extrême pointe.
Le défi est d’autant plus difficile à relever que la promotion des renouvelables intermittentes via des tarifs garantis complique encore l’équation. Abaissant les prix moyens annuels et réduisant les heures de fonctionnement des centrales conventionnelles en place, les nouvelles capacités ENR menacent le modèle économique des centrales programmables, indispensables pour garantir la sécurité des approvisionnements à tout moment et répondre aux besoins croissants de service de flexibilité. La barrière pour un investisseur en CCGT ou en TAG, tenu à des projections sur plusieurs décennies, est de ne pas pouvoir anticiper la trajectoire de développement des ENR et de leurs effets sur les marchés électriques pendant la période de recouvrement des coûts fixes. Ce qui revient à dire que ces investisseurs affrontent à la fois les incertitudes liées aux prix du carbone et des énergies fossiles (charbon transitoirement, gaz durablement) et celles induites par la montée en puissance des renouvelables.
Pour aider à réconcilier concurrence et objectifs de long terme (en particulier en termes de sécurité de fourniture), une mesure possible serait la reconnaissance de la compatibilité avec les directives et le Traité européen, des arrangements de long terme garantissant un prix à toutes les technologies, et non seulement aux ENR et autres technologies bas carbone. Car, pour assurer l’équilibre d’un système électrique qui requiert la combinaison de technologies complémentaires, il n’est pas durablement soutenable de ne garantir que les investisseurs dans le champ des ENR. Une option pourrait être de confier à une agence neutre la gestion de ces arrangements contractuels (le gestionnaire de réseau par exemple) et de voir leurs coûts compensés par une taxe payée par tous les consommateurs, à l’instar des dispositifs en vigueur pour les ENR.
Mais, à l’heure actuelle, les principes de la politique de la concurrence de l’Union européenne, qui restreignent l’usage des contrats à long terme sur les marchés électriques pour favoriser l’entrée de nouveaux acteurs, empêchent une telle évolution. L’absence d’un prix carbone significatif et aux évolutions prévisibles à long terme ne permet aucunement d’imaginer qu’il puisse exister une alternative.
Ces principes doivent être modulés dans leur application pour sortir d’un régime centré sur des marchés de court terme et une vue simpliste de la concurrence. Une approche plus équilibrée consisterait à promouvoir des contrats de long terme, sous réserve d’une innocuité en termes des barrières à l’entrée ou d’opacité. L’attribution aux enchères de ces contrats sur une base transparente pourrait être un des éléments du cahier des charges, et permettre de redonner un espace économique pour le financement d’équipements dédiés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie électrique et à la sécurité des approvisionnements.
- Faire émerger un modèle économique pour l’offre de capacités
Les ENR intermittentes font baisser les prix moyens, accroissent la volatilité des prix et limitent la rente de rareté en pointe, ce qui accroît le problème du revenu manquant pour développer des unités de pointe. Pour assurer une rentabilité suffisante aux unités de pointe et de réserve et aux programmes d’effacement nécessaires pour maintenir la sécurité de la fourniture électrique en pointe, la rémunération d’une garantie de capacité est essentielle. L’architecture de marchés doit donc être complétée par un mécanisme de capacité qui, toutefois, ne doit pas biaiser le fonctionnement des marchés de l’énergie.
L’assurance de long terme de garantie de fourniture en pointe ou en période exceptionnelle est un « bien collectif » dont l’offre est loin d’être assurée par le fonctionnement spontané des marchés. Pour un investisseur, la somme des surplus horaires nécessaires pour garantir le recouvrement des coûts fixes des unités de pointe qui fonctionnent sur des durées courtes et aléatoires d’une année sur l’autre est incertaine, même en absence de tout plafond de prix. Ce problème, compte tenu de son incidence sur la sécurité de fourniture, ne saurait être résolu via le seul credo en l’efficience des marchés. Une montée possible des prix jusqu’à 20 000 euros/MWh sur quelques heures par an, sans idée de fréquence, durée et amplitude, ne peut conduire les entreprises électriques à investir en confiance. L’Espagne, le Royaume-Uni et l’Allemagne donnent à observer plusieurs cas des centrales de gaz à cycle combiné retirées du marché faute de rentabilité suffisante à cause du déploiement massif de l’éolien et du photovoltaïque qui a réduit radicalement leur nombre d’heures d’appel, de sorte que le problème n’est pas seulement théorique…
La littérature évoque fréquemment la problématique des « revenus manquants » (missing money), les attribuant souvent à l’existence de plafonds de prix. Pourtant, les prix ne montent qu’exceptionnellement jusqu’à un plafond situé à 3000 euros/MWh pour l’EPEX. Le problème, bien réel, nous semble avoir une origine multiple.
Les investisseurs, face au profil de risque très particulier de tels projets, demandent une prime de risque d’autant plus importante que la plupart ne font pas partie du club des majors européens.
Les gestionnaires de réseau de transport, en période de rareté, font appel de façon prématurée à des réserves contractées hors marché, interventions qui contraignent la montée des prix sur les marchés day-ahead et infra-journaliers.
Sans surcapacité, l’introduction à grande échelle d’unités ENR écrête les pics de prix, du fait de la bonne corrélation entre apport éolien et pointe de demande en extrême pointe ; donc elle écrête les rentes de rareté nécessaires au recouvrement des coûts fixes de ces installations. Les ENR évincent donc les unités flexibles, alors même que leur déploiement les rend plus encore indispensables…
Trois types d’évolution complémentaires nous semblent mériter attention pour dépasser ces difficultés.
Une première évolution passe par la rémunération de la puissance garantie, au même titre que les programmes d’effacement de consommation de puissance chez les industriels et les ménages gérés par les fournisseurs en concurrence. C’est l’idée innovatrice des mécanismes de capacité adoptés dans certains pays, mais qui n’est pas encore généralisée dans l’Union. La France a choisi d’aller de l’avant en décembre 2012 en instaurant une obligation décentralisée, notamment en raison de l’importance particulière de l’aléa météorologique en hiver aux consommations liées au chauffage électrique. Des enchères centralisées de contrats de capacité (Royaume-Uni) ou des mécanismes de réserves stratégiques (Suède, Finlande et Belgique) sont également ou vont également être mises en œuvre. L’approche française est cohérente avec la spécificité du risque dans l’Hexagone. Son impact sera limité, sachant que les tarifs régulés de l’opérateur historique en France incluent déjà une partie « abonnement » qui reflète en partie cette garantie de puissance. Il faudra cependant que toutes les offres sur les segments sans tarifs pour les consommateurs dont la charge est « formée » (hors ceux à usages de charge plate sur l’année) incluent bien une partie « puissance » qui reflète cette assurance collective.
Un deuxième changement porterait sur l’amélioration de la valorisation économique de la flexibilité des équipements nouveaux (notamment la vitesse et les coûts de montée ou de baisse de puissance), de l’effacement de la demande et des stockages d’électricité. Elle passe par l’amélioration de la liquidité des sous-marchés infra-journaliers et ceux de réserves opératoires, à côté des marchés day-ahead et futures. Elle suppose aussi une meilleure intégration entre les pays européens pour valoriser la mutualisation des outils de flexibilité. Ces pistes explorées par le travail de comitologie autour du European Target Model laissent entrevoir une meilleure sécurité des approvisionnements lors de l’affaissement des productions éoliennes et solaires.
Un troisième changement concerne le mode de subvention des énergies renouvelables, de façon à responsabiliser les producteurs intermittents et les inciter à s’associer avec des producteurs flexibles pour offrir des garanties au GRT. À cette fin, les tarifs d’achat fixes sont peu adaptés, isolant la production renouvelable du marché horaire et reportant la responsabilité de l’équilibrage sur l’acheteur obligé. Des mécanismes où les producteurs d’ENR vendent sur le marché et reçoivent une prime horaire réglementée (feed-in premium) commence à émerger. Une autre option méritant attention serait de conditionner la subvention à la fourniture de bandes horaires constantes, contraignant les producteurs d’ENR à assumer les coûts de système dont ils sont responsables.
- Consolider les infrastructures de transport et de négoce d’électricité
Un marché commun intégré a besoin d’infrastructures communes. Les interconnexions physiques et l’interconnexion croissante des bourses d’électricité qui organisent le « market coupling » valorisent les complémentarités des parcs européens. La consolidation de ces infrastructures de réseau et des institutions de marché est indispensable pour exploiter plus avant les avantages de l’intégration des marchés européens de l’électricité.
L’approvisionnement en électricité est affaire de réseaux : de transport, de distribution et de négoce. Du fait de la non-stockabilité de l’électricité, le système requiert un ajustement offre-demande en temps réel, prérogative des gestionnaires centraux. Cette responsabilité est assumée par l’opérateur du système de transport en « dernier ressort », secondé par des opérateurs de marché, « responsables d’équilibre », s’appuyant sur les flexibilités ouvertes par les échanges en OTC et surtout sur les bourses de l’électricité.
Au plan européen, le rôle des gestionnaires de réseau est de plus en plus crucial, à mesure de la montée en complexité des systèmes.
D’un côté, la montée en puissance des énergies renouvelables, dont la production est diffuse (notamment quand elle implique l’habitat résidentiel) et l’implantation souvent loin des centres de consommation, demandent des investissements lourds dans les infrastructures physiques.
D’un autre côté, le couplage des marchés électriques nationaux implique des plates-formes d’échanges plus complexes et plus sophistiquées.
Les deux ont vocation à contribuer à l’établissement de l’équilibre offre-demande sur tous les horizons temporels à l’échelle régionale et à optimiser le financement et l’utilisation des interconnexions.
Un des problèmes les plus complexes résulte des pics de production des renouvelables et porte sur la gestion et le paiement des externalités négatives que constituent les loop flows, ces débordements des flux physiques vers des pays tiers jusqu’à ce que les interconnexions entre les deux pays (voire des connexions à l’intérieur d’un pays receveur) soient saturées. Ce problème implique avec urgence une meilleure coordination entre les GRT des pays européens.
Même si l’intégration des marchés pose ainsi des problèmes parfois significatifs d’un système vers les autres, l’augmentation des interconnexions européennes reste souhaitable pour deux raisons : mieux mutualiser les services de flexibilité dont dispose chaque système face à l’intermittence des productions ENR dans chaque système, et mieux exploiter la complémentarité des parcs de production et des structures journalières de consommation des différents pays européens dans des marchés progressivement plus intégrés.
- 7. Ouvrir les chantiers liés à la demande : consommations maîtrisées, investissements efficaces, précarité éradiquée…
La transition énergétique nécessite de sortir d’une tradition où les efforts collectifs ont été concentrés sur l’organisation de l’offre. Des questions essentielles sont aujourd’hui ancrées du côté de la demande. Plutôt que d’entretenir les ménages dans l’illusion de gains en prix induits par la concurrence, il est important d’accompagner leur engagement dans la maîtrise de la demande et leurs investissements en efficacité énergétique. Ces efforts à consentir ne sont pourtant pas de « low hanging fruits », mais des chantiers colossaux qui ne produiront un plein effet qu’à long terme. Il y a pourtant urgence à progresser, tout particulièrement dans un pays comme la France dont les consommateurs ont longtemps été peu aiguillonnés par les prix. La montée rapide de la précarité confirme qu’il y a urgence à ouvrir les chantiers liés à la demande d’électricité.
L’électricité est consommée par des agents économiques qui peuvent choisir leur fournisseur dans tous les pays européens, pour en principe bénéficier de meilleurs prix ou de meilleurs services. Un nombre important de travaux académiques montrent toutefois que cette concurrence n’a pas eu des effets bénéfiques marqués, en dehors des gros consommateurs industriels. Le secteur de télécoms, qui est parfois cité comme l’exemple à suivre, ne constitue aucunement une référence pour le secteur d’électricité où le progrès technique est plus lent et les marges sont plus modestes. Certains se focalisent sur le nombre de migrations d’un fournisseur vers un autre (le « churn ») pour déterminer l’existence d’une concurrence effective sur le marché de détail. Ces observations sont assez vaines, comme le confirment nombre d’analyses, en particulier sur le marché britannique.
Sur la base de ces observations (qui suscitent la perplexité), peut-on attendre du progrès technique des solutions pour permettre à la concurrence de fournir des solutions optimales à tous les niveaux de la filière ? Des nouvelles technologies avec les compteurs communicants et les réseaux intelligents devraient inclure les clients finaux dans le marché, et leur permettre de gagner en capacité d’arbitrage entre les fournisseurs, de réduire leurs factures via des contrats d’effacement et même de produire une électricité autoconsommée…
Peut-on pour autant imaginer une mutation radicale du comportement du consommateur d’électricité ? Ce sera le cas seulement si les nouvelles technologies « intelligentes » apportent un réel progrès en efficacité des fournisseurs et des distributeurs ou en satisfaction des clients, pour justifier les coûts significatifs de leur déploiement.
L’amélioration de l’efficacité énergétique est, certes, fonction du prix de l’énergie, mais également de tout un ensemble de facteurs: information, expertise, construction de filières, formation de compétences, incitations financières par des prêts bonifiés et des subventions par les fournisseurs… Certains exemples étrangers où se combinent financement bancaire privilégié, expertise, structuration de filières et garanties de résultats (comme en Allemagne avec l’action de la KfW) démontrent qu’il est possible de réduire les consommations sans ponction majeure sur le budget public. Un ciblage de l’effort doit aussi se faire sur l’habitat social et les propriétaires en situation de précarité, comme c’est le cas avec le programme « Habiter mieux » géré par l’ANAH.
Simplicité, efficacité et transparence doivent être les maître-mots également pour aider ceux qui peinent à assumer le prix, même plus bas, pour ce bien élémentaire qu’est l’électricité. La tarification sociale est légitime si elle est facile à gérer. L’activation automatique des tarifs sociaux pour les 3,5 millions de ménages qui bénéficient de la Couverture maladie universelle constituera déjà une mesure pragmatique efficace après les années où ce dispositif n’a pas marché, faute d’activation automatique du dispositif. Une solidarité plus ample pourrait être réalisée de manière plus directe et efficace par un chèque d’électricité (ou d’énergie) qui aiderait ceux dont la situation économique est reconnue comme précaire par les services sociaux. Toutefois, pour affronter la précarité énergétique, ce type de tarification ne constitue qu’une solution d’attente, seuls des efforts dans l’efficacité thermique des logements constituant une solution durable. Mais comme il s’agirait d’investir des dizaines de milliards d’euros dans la décennie présente, ce chantier essentiel ne sera sans doute activé qu’avec peine. Ce problème est bien sûr un problème plus général qui est propre à l’ensemble des énergies, sachant que la part des appartements mal isolés et chauffés à l’électricité est moindre. Mais il ne se pose pas moins pour une partie du bâti mal isolé et mal rénové en mode de chauffage dans les décennies précédentes.
Quoi qu’il en soit, la complexité des transformations électriques à l’œuvre du côté de l’offre appelle, impérativement, une évolution des modes de consommation et des services du côté de la demande. Dans un pays comme la France, dont la culture d’ingénieur a mis pendant des décennies les consommateurs d’électricité à l’abri de toute préoccupation, ce qui se joue désormais du côté de la demande sera bien partie prenante de l’aggiornamento qui s’annonce.
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