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Biomasse et transition énergétique (Paul Mathis et Hervé Bichat)
Une transition énergétique s’impose à la France, comme à la planète toute entière : il faut réduire au plus vite notre usage des combustibles fossiles, charbon, pétrole et gaz, qui représentent plus de 80% du bouquet énergétique mondial, et dont l’usage libère d’énormes quantités de CO2, un gaz à effet de serre. Celui-ci s’accumule dans l’atmosphère et est à la base des changements climatiques en cours. Cette transition nécessite de gros efforts en matière de sobriété et d’efficacité énergétique. Elle exige également de remplacer les combustibles fossiles par des énergies non carbonées, énergie nucléaire et énergies renouvelables.
Dans cette révolution énergétique, la place de la biomasse est au cœur de débats scientifiques passionnés : pour certains, la biomasse devrait être l’énergie du futur, associée à de rigoureux programmes d’économies d’énergie. Pour d’autres, la production d’énergie à partir de la biomasse est trop peu performante, lorsque tous les paramètres sont pris en compte, pour que cette option soit retenue, d’autant que la satisfaction des besoins alimentaires des populations peut se révéler délicat à assurer dans l’avenir : il faut se nourrir avant de rouler !
La biomasse est constituée par l’ensemble de la matière organique provenant de la matière vivante. Elle tire sa source dans l’énergie reçue du soleil, qui sert de moteur à la photosynthèse, le processus par lequel les plantes fabriquent leurs biomolécules en puisant du CO2 dans l’atmosphère. Depuis que l’homme est homme, la biomasse est utilisée pour des besoins variés, qui sont tous en expansion au niveau mondial. En premier lieu, vient l’alimentation des humains, considérée comme une priorité, pour satisfaire une population toujours croissante et mieux nourrir ceux qui souffrent de sous-alimentation. Comme matériau de construction, les bois d’œuvre et les matériaux d’isolation thermique sont appelés à jouer un rôle croissant du fait de leurs qualités. Dans l’industrie, la biomasse est la source de fibres pour les textiles, le papier et les panneaux agglomérés. Dans le secteur de la chimie, la biomasse est appelée à fournir de plus en plus, surtout du fait de la nouvelle réglementation européenne REACH, les molécules de base qui permettront les synthèses chimiques, en substitution du pétrole. Cela s’ajoutera à des usages existants, pour la pharmacie, le caoutchouc, sans oublier les drogues... Enfin, la biomasse est utilisée pour l’énergie. Cet usage est aussi ancien que l’Humanité. Jusqu’à la Révolution industrielle, il assurait 80% des besoins énergétiques mondiaux. Mais aujourd’hui il apparaît en dernier sur la liste car il est le moins bien payé, et parce qu’il semble dommage de brûler une ressource d’une richesse moléculaire aussi grande que la biomasse. Comme la production de biomasse est intrinsèquement limitée par la surface de sols productifs, une surface qui ne cesse de diminuer par artificialisation (avec une perte de 60 000 ha/an en France, actuellement), il faudra faire des choix entre ces u sages et tirer parti des sols par une exploitation intensive, qui devra quand même rester durable, qu’il s’agisse des forêts ou de l’agriculture.
Ressources et usages énergétiques de la biomasse
La biomasse est une énergie renouvelable et décarbonée, à condition que les sols soient exploités d’une manière durable et que le décalage dans le temps entre la capture du CO2 par les plantes et son dégagement dans l’atmosphère, suite à la combustion de la biomasse, ne soit pas trop important. On peut considérer trois grandes sources de biomasse énergétique. De la forêt, et de tous les espaces boisés (plantations d’alignement, agroforesterie, etc.), on tire le bois, ainsi que les résidus de son exploitation et de son industrie. Les cultures fournissent les fruits, les racines et les pailles d’espèces végétales choisies pour leur productivité. Quant aux déchets , outre les déchets directs de la forêt et des cultures, ils comprennent les déchets urbains solides, les effluents liquides urbains et industriels, les déjections des animaux d’élevage, et les déchets industriels organiques, surtout ceux des industries agricoles et alimentaires. Ces ressources peuvent répondre aux trois grandes classes de besoins énergétiques.
La chaleur par combustion directe de bois, de déchets ou de biogaz produit par méthanisation ou par méthanation. Cela représente 90% de l’énergie fournie par la biomasse. Cette chaleur sert au chauffage domestique (cheminées traditionnelles – à très faible rendement –, poêles à insert), au chauffage collectif par des chaudières à haut rendement couplées à des réseaux de chaleur, à la chaleur agricole (souvent procurée par du bois produit sur l’exploitation) et à des besoins de chaleur industrielle, souvent associés à de la production d’électricité par cogénération.
Les carburants pour les transports, appelés biocarburants. Une première génération de biocarburants utilise des denrées alimentaires. Elle fournit de l’éthanol, remplaçant de l’essence, à partir de betteraves, de blé et de maïs, et du biodiesel, remplaçant le gazole, à partir de graines oléagineuses (colza, tournesol). Une seconde génération est à l’étude. Elle est susceptible de tirer parti de la lignocellulose, composant majeur du bois et des pailles, non comestible. Elle fournirait des carburants liquides (de l’éthanol, produit par digestion enzymatique ; ou du biogazole, produit par gazéification thermochimique suivi d’une synthèse catalytique) et/ou un carburant gazeux, le biométhane, produit par méthanisation de biomasse humide (composée surtout de déchets organiques) ou par méthanation des produits de la gazéification thermochimique de biomasse sèche. Les recherches en cours permettront de choisir les meilleurs procédés.
L’électricité. Celle-ci est généralement produite, à partir de déchets, par cogénération, dans des cas où la chaleur peut être valorisée efficacement. La production d’électricité seule à partir de biomasse est d’intérêt très limité en France.
Une énergie renouvelable ?
Les arbres qui poussent accumulent progressivement de la biomasse sous forme de bois. Si la forêt est gérée « en bon père de famille », le prélèvement de bois se fera au rythme de sa production. On pourra donc considérer le bois comme une énergie renouvelable puisqu’il est produit à partir de l’énergie solaire. Mais il est fréquent qu’il soit surexploité, surtout dans les pays pauvres où il constitue la seule source d’énergie pour près de deux milliards d’humains. Leurs forêts sont aussi détruites pour l’exportation de bois d’œuvre et la production de pâte à papier. De vastes étendues sont maintenant dépourvues de forêts primaires, en Amérique du Sud, en Afrique, et en Asie du Sud. La même situation a existé en Europe de l’Ouest, avant l’utilisation intensive du charbon, quand les forêts ont été surexploitées pour la sidérurgie. On rencontre des problèmes analogues avec la biomasse agricole, à croissance et récolte annuelles.
Une source d’énergie permet de lutter contre les changements climatiques si elle peut remplacer des combustibles fossiles, émetteurs de CO2, sans être elle-même émettrice de gaz à effet de serre. La biomasse étant susceptible de remplacer des combustibles fossiles dans tous leurs usages, quel est son bilan en termes de gaz à effet de serre ? À première vue, son bilan n’est pas bon puisque la combustion de 1 tonne équivalent pétrole (tep) émet 3,3 t de CO2 avec le pétrole, et 4,2 t avec le bois ! Pourtant, dans le cas du bois, tout le CO2 émis a été prélevé auparavant dans l’atmosphère : le bilan est donc nul, sur une échelle de temps qui dépend du temps de croissance des arbres. L’exploitation brutale d’une forêt pour du bois-énergie est la source d’une émission immédiate de CO2 qui n’est pas compensée par une forte prise de CO2 à l’échelle de la décennie.
La situation est compliquée pour deux raisons. D’abord parce qu’une quantité importante de GES autres que le CO2 est émise lors des procédés culturaux. Il s’agit surtout du protoxyde d’azote N2O qui se dégage lors du cycle des engrais azotés et du travail du sol. Les quantités émises sont importantes, mais leur mesure précise est difficile. Par ailleurs, les procédés agricoles et industriels, ainsi que les transports, requièrent des quantités parfois très importantes d’énergie, ce qui donne lieu à des émissions de CO2. Ce phénomène est mineur pour la production de bois-énergie, mais il est tout à fait important dans le cas des biocarburants. Les bilans doivent être soumis à des analyses de cycle de vie détaillées, au cas par cas.
Un meilleur usage des sols ?
L’intérêt d’utiliser de la biomasse pour répondre à des besoins énergétiques doit être évalué en fonction de la situation régionale, sachant que la biomasse-énergie constitue une énergie renouvelable stockée, ce qui est un avantage appréciable par rapport à l’électricité. L’aspect régional du problème tient surtout aux différences de productivité végétale selon le climat et la qualité des sols. Il tient aussi à la disponibilité d’autres ressources énergétiques. Les situations concrètes varient à l’infini. Certains pays, déshérités en matière de climat et de sols, peuvent tout juste répondre à des besoins locaux pour la cuisson des aliments. Inversement, la Suède est caractérisée par des forêts importantes et une faible densité de population. L’exploitation des forêts y fournit donc de grandes quantités de bois, utilisées pour div ers usages, en particulier pou r le chauffage grâce à des chaufferies à haut rendement alimentant des réseaux de chaleur. Le Brésil est un autre cas exemplaire, avec de vastes espaces cultivables et une faible densité de population. Le pays, dépourvu de charbon pou r sa sidérurgie, produit à cette fin de grandes quantités de charbon de bois à partir de plantations industrielles d’eucalyptus et de pins tropicaux. Par ailleurs, une large part du pays est propice à la culture de la canne à sucre, une plante exceptionnelle par sa productivité avec peu d’intrants. Elle produit du sucre avec un très fort rendement énergétique. Celui-ci est transformé en éthanol d’une manière très économique car un résidu de la sucrerie, la bagasse, est brûlé sur le site pour donner chaleur et électricité. Chaque région géographique doit donc évaluer la place que la biomasse fournit dans son bouquet énergétique. Quelle place pourra occuper la biomasse énergétique dans la transition énergétique mondiale ? Selon un groupe de travail de l’association Prospective 2100, la biomasse pourrait maintenir son pourcentage dans le bouquet énergétique mondial d ans l’hypothèse où celui-ci doublerait d’ici 2050. C’est-à-dire qu’elle contribuerait assez peu au remplacement global des combustibles fossiles.
Qu’en est-il de la France ? En 2011, sa consommation d’énergie finale a été de 168 Mtep, dont 116 Mtep de combustibles fossiles. Dans l’optique du « facteur 4 » en 2050, si la consommation finale totale est réduite à 100 Mtep, ce qui est un objectif extrêmement ambitieux, et si les fossiles sont divisés par six, soit 19 Mtep, il faudrait que les énergies non carbonées représentent au total 81 Mtep. En 2011, la biomasse contribuait pour 13,6 Mtep d’énergie primaire, soit environ 13,0 Mtep d’énergie finale (pour la biomasse actuelle, constituée essentiellement par le bois et les biocarburants liquides, avec la comptabilité de l’énergie primaire, celle-ci diffère peu de l’énergie finale). Cela représentait les deux tiers des énergies renouvelables produites en France.
Comment envisager son développement, selon les sources et les usages ? L’augmentation de la quantité de bois énergie pourrait résulter d’une meilleure gestion de la forêt, de la mise en culture de taillis à courte rotation (saule ou autre), et de l’agroforesterie. Pour la forêt, l’essentiel est de mettre en œuvre une stratégie à long terme, axée prioritairement sur la valorisation des importantes disponibilités actuellement non exploitées (31 Mm3/an). Pour l’énergie, cela permettrait de disposer de bois de chauffe provenant des éclaircies, de déchets de scierie, et de bois de récupération. Le bois d’œuvre utilisé dans la construction constitue un stock de carbone immobilisé à long terme. Une partie des taillis actuels pourrait être utilisée en production intensive sous la forme de taillis à courte rotation. Une politique de valorisation énergétique va requérir une forte action publique (remembrement, aide à l’investissement à très long terme) pour in citer les propriétaires privés, souvent à la tête de petites parcelles sous exploitées, à valoriser leurs propriétés. La valorisation énergétique des bois d’éclaircie peut constituer, par les revenus qu’elle procure, une incitation à l’exploitation forestière. Une telle politique à long terme devrait aussi permettre de redynamiser l’industrie du sciage, et de sécuriser l’approvisionnement des chaufferies. L’ensemble de ces mesures permettrait de passer des 10 Mtep actuels à 18 Mtep. Un second domaine est celui des biocarburants, pour répondre aux besoins des transports, en complément avec l’électricité, et dans un contexte de forte amélioration de l’efficacité énergétique. La production actuelle de biocarburants de première génération, 2,2 Mtep, pourrait laisser la place à des biocarburants de seconde génération, sous réserve du succès des recherches en cours. Il s’agirait de produire des biocarburants liquides ou gazeux à partir de matières premières div erses : déchets de bois et de pailles, déchets d’élevage, cultures dédiées comme le miscanthus, le maïs ou d’autres graminées à forte production.
Le choix des vecteurs (éthanol, biodiesel, biométhane) se fera en fonction des résultats des recherches en cours et des bilans énergétiques, économiques et environnementaux. Actuellement, la production nette d’énergie est d’environ 2 tep/ha, déduction faite de l’énergie des procédés et de la prise en compte des inégalités de production selon les régions. Si l’on consacre 4 millions d’ ha à ces énergies, on obtiendrait ainsi 8 Mtep. En y ajoutant 3 Mtep provenant des déchets non pris en compte, on pourrait ainsi compter sur 11 Mtep. Il faut cependant noter que le volume d e nombreux déchets devrait diminuer en application de politiques spécifiques (recyclage, diminution du gaspillage, utilisation des certains déchets pour la chimie biosourcée, abandon sur site pour maintenir la fertilité des sols, etc.). In fine, le potentiel annuel de la biomasse énergétique, en énergie finale, à l’horizon 2050, nous semble être d’une trentaine de Mtep, au lieu de 14 Mtep actuellement. Ce serait donc une contribution tout à fait significative, associée d’ailleurs à de nombreux emplois locaux. Mais elle ne pourra jouer qu’un rôle modeste dans notre transition énergétique.
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