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Du côté de l'agriculture Quels problèmes, quelles solutions ? (Collectif du projet Grignon Énergie positive - AgroParisTech)

12 février 2017 ParisTech Book
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Les exploitations agricoles, quoi qu’elles produisent, sont dépendantes de plusieurs types d’énergie pour fonctionner. Les consommations énergétiques des fermes se déclinent en deux catégories : les énergies directes et indirectes. Sont considérées comme énergies directes toutes celles consommées dans les exploitations agricoles mêmes. Il s’agit principalement de fioul domestique, d’électricité et de gaz naturel. Le fioul est l’énergie la plus consommée par les fermes françaises comme carburant pour les tracteurs et machines agricoles. Viennent ensuite l’électricité et le gaz (propane, butane, GPL), utilisés par exemple pour chauffer les serres, les structures d’élevage, et alimenter en énergie les équipements d’élevage (par exemple les salles de traite et les broyeurs à lisier) et les ateliers de transformation (des produits laitiers par exemple). Si toutes les exploitations utilisent globalement ces trois types d’énergie, la proportion de chacune dépend du type de production de la ferme. Ainsi, les cultures de plein champ consomment surtout du fioul pour les tracteurs, tandis que les élevages et cultures sous serres sont plus consommateurs de gaz et d’électricité.

Les énergies indirectes consommées par l’agriculture sont celles qui sont nécessaires à la fabrication et au transport des intrants achetés par les agriculteurs (engrais, semences, produits phytosanitaires, aliments du bétail), ainsi que celles qui sont utilisées pour la construction des matériels et bâtiments agricoles. Ce sont également principalement du fioul, de l’électricité et du gaz. La quantification des énergies indirectes est complexe, puisqu’elles ne sont pas consommées sur place mais lors du cycle de production des intrants. Chiffrer ces énergies nécessite donc de recueillir des informations sur chaque étape de fabrication et de transport des intrants.

Les consommations d’énergieses exploitations constituent un poste de coût important pour les agriculteurs. Une ferme française consacre en moyenne 9% de ses charges variables pour acheter ses énergies directes et la somme des énergies directes et indirectes pourrait représenter entre 12 et 20% des charges variables, ce qui correspondrait à un coût moyen de 12 300 euros par exploitation (estimations réalisées par Icare Environnement et l’Ademe sur la base des données comptables du RICA pour l’année 2009). Quel que soit le type d’exploitation, les consommations d’énergie représentent un coût non négligeable pour les agriculteurs et suivent la tendance haussière du prix du pétrole et du gaz naturel. Ainsi, entre 1990 et 2009, les coûts liés aux énergies consommées par les exploitants ont augmenté de 130%. Si la tendance haussière du prix du pétrole reprend, on peut craindre que le poids de l’énergie sur la facture annuelle de l’exploitant agricole continue d’augmenter.

Les consommations d’énergies constituent ainsi un fort enjeu économique pour les agriculteurs, mais également pour les acteurs en amont et en aval des filières agricoles. Elles sont aussi un enjeu environnemental, du fait de l’épuisement des ressources énergétiques non renouvelables et des impacts de la production et du transport des énergies, y compris renouvelables. Par ailleurs, l’enjeu énergétique est fortement lié à un autre défi environnemental majeur du secteur agricole : la lutte contre le changement climatique. En effet, les consommations de fioul par les tracteurs et l’usage d’engrais azotés, par exemple, génèrent respectivement du dioxyde de carbone et du protoxyde d’azote, qui sont des gaz à effet de serre.

En matière d’environnement, la règlementation française actuelle est liée aux directives européennes. Les politiques françaises s’intègrent donc dans le « Paquet Climat Énergie 2020 » européen avec un triple objectif de 20% à horizon 2020 : diminution de 20% des émissions de gaz à effet de serre, diminution de 20% de la consommation globale d’énergie, et augmentation de 20% de la production d’énergies renouvelables. La France a tout d’abord instauré le Plan Performance Energétique des exploitations agricoles (PPE) entre 2009 et 2013. Bénéficiant d’une enveloppe de 35 millions d’euros pour 2009, ce plan avait pour objectif de mettre en avant les axes de développement de la performance énergétique des exploitations, et d’encourager financièrement l’établissement de diagnostics énergétiques, ainsi que la mise en place d’équipements de maîtrise de la consommation d’énergie ou de production d’énergies renouvelables. Puis le Plan pour la compétitivité et l’adaptation des exploitations agricoles a été mis en place pour les années 2014 à 2020. Doté d’un capital de 200 millions d’euros financé par le FEADER, il a vocation à soutenir les investissements améliorant la performance globale des exploitations agricoles. Parmi les investissements mis en avant, on retrouve ceux qui permettent d’augmenter la performance énergétique en favorisant la diminution de la consommation d’intrants et d’énergies et la production d’énergies renouvelables.

 

Limiter les consommations d’énergie des exploitations agricoles ?

Un des grands défis du secteur agricole consiste à améliorer l’efficacité énergétique des exploitations, c’est-à-dire à diminuer leur consommation d’énergies tout en conservant la même productivité. De nombreuses solutions techniques (matériels, équipements, pratiques agricoles ou d’élevage) existent pour répondre à l’enjeu énergétique.

Le fioul des engins agricoles représente en moyenne plus de la moitié des consommations d’énergie directe d’une exploitation[1]. Une des solutions possibles pour économiser du carburant consiste à privilégier les pratiques culturales simplifiées. En effet, le non-labournduit une diminution de la consommation d’énergie fossile de 5 à 12% selon l’ADEME, à rendement équivalent. Le labour est une pratique agricole, effectuée avec une charrue, qui est destinée à désherber la parcelle en enfouissant les graines de « mauvaises herbes », à affiner la structure du sol en cassant les grosses mottes de terre et éventuellement à enfouir du fumier. Il est cependant possible de travailler le sol de façon simplifiée (travail superficiel, non-labour, etc.), requérant moins de puissance de traction et/ou moins de passages sur la parcelle que le labour et permettant donc de diminuer la consommation de carburant. Par ailleurs, dans le cas des élevages, le recours au pâturage peut, dans certains cas, permettre de diminuer les consommations d’énergies globales, grâce aux économies réalisées sur la fabrication, le transport et le stockage des aliments et des effluents. Le test des tracteurs sur banc d’essai est également une pratique utile pour le contrôle des consommations de carburant des exploitations. Ce dispositif permet de mesurer les performances globales du moteur (puissance, résistance à l’effort, consommation horaire de carburant, rendement) et d’en déduire des techniques de conduite économe spécifiques à la machine. En suivant des formations à la conduite économe, les exploitants peuvent réduire leurs consommations globales de carburant de 15 à 20%. Enfin, des exploitations se sont également munies de presses à huile pour faire rouler leurs tracteurs en partie à l’huile végétale pure de colza. L’utilisation de l’huile végétale pure autoproduite n’est autorisée que depuis 2007, dépend du moteur du tracteur, et sa rentabilité est liée au cours du colza.

Des économies sont également possibles sur les autres postes de consommation d’énergie directe. L’isolation thermique des bâtiments d’élevage et la mise en place de systèmes de récupération de chaleur (par exemple, récupération de chaleur en salle de traite pour tiédir l’eau de boisson des animaux) permettent de réduire les consommations d’énergies concernées (gaz ou électricité). On assiste par ailleurs à l’apparition d’unités de biométhanisation à la ferme servant à la production de biogaz à partir du lisier ou du fumier issu des élevages, ou d’autres déchets organiques. Ces unités de méthanisation nécessitent cependant un investissement important pour leur construction, ce qui constitue un frein à leur développement. À la ferme d’AgroParisTech, à Grignon, se teste une solution « low cost » qui consiste à couvrir la fosse à lisier de l’exploitation d’une bâche étanche. Celle-ci permet de récupérer le biogaz qui est brûlé dans une chaudière adaptée servant à produire de l’eau chaude destinée à l’atelier de transformation laitière.

L’épandage d’engrais minéraux (de synthèse) ou organiques (par exemple effluents d’élevages) sur les cultures est indispensable pour leur fournir l’azote, le phosphate et le potassium dont elles ont besoin pour se développer. Les étapes de production (pour les engrais minéraux), de stockage, de transport et d’épandage de ces intrants des cultures sont consommatrices d’énergie, mais il existe plusieurs solutions pour réduire la consommation de ces intrants énergivores. Tout d’abord, un pilotage précis de la fertilisation, basé sur des analyses du sol et l’utilisation d’outils d’aide à la décision, permet de minimiser les apports d’azote pour un objectif de rendement donné.’autre part, l’utilisation d’effluents organiques, quand ils sont disponibles sur la ferme ou à proximité (par exemple des effluents d’élevage), en substitution à des engrais minéraux est une solution pour économiser les consommations d’énergie de l’étape de synthèse des engrais en usine. La culture de légumineuses peut également réduire la « facture » en intrants azotés. Ces plantes (luzerne, soja, pois, haricots...) ont la capacité d’utiliser l’azote de l’air pour fabriquer leur propre matière. Par conséquent, elles n’ont pas besoin d’engrais pour pousser. En outre, lors de leur croissance, elles enrichissent le sol d’azote qui peut être utilisé par les cultures suivantes. De nombreuses solutions existent donc pour réduire la consommation d’engrais azotés, mais elles nécessitent une grande précision dans les connaissances des cultures, de leurs rotations et de leurs besoins exacts en éléments fertilisants.

Dans les élevages, l’alimentation du bétail représente un poste important de consommations d’énergies directes et indirectes. En effet la production, le stockage et le transport des aliments, qu’ils soient produits sur la ferme ou achetés à l’extérieur, sont énergivores. Une façon de réduire la dépendance énergétique des élevages consiste à agir sur le type d’aliments fournis aux animaux. Une action possible est de produire sur l’exploitation des aliments qui nécessitent peu d’énergie ou d’intrants. Ainsi cultiver des légumineuses, comme la luzerne, qui peut être donnée comme fourrage à des ruminants, peut participer d’une réduction des consommations d’énergie de l’alimentation. On peut également recourir aux pratiques agricoles déjà citées dans les paragraphes précédents pour réduire les consommations d’énergies directes ou indirectes des fourrages (travail du sol simplifié, pilotage fin de la fertilisation, etc.). Une autre action possible est de recourir à des aliments fabriqués à l’extérieur peu coûteux en énergie. Ce peuvent être des coproduits industriels, comme les tourteaux de graines d’oléagineuses ou les pulpes de betterave provenant de l’industrie sucrière. Les fabricants d’aliments travaillent également de plus en plus sur les matières premières choisies et les processus de production pour proposer des aliments moins énergivores. Une autre solution consiste à agir directement sur la taille du troupeau. En améliorant la productivité individuelle de chaque animal, et à volume de production du troupeau équivalent, on peut diminuer la taille du cheptel. L’augmentation de la productivité individuelle s’accompagne de l’augmentation des besoins nutritionnels de chaque animal. En revanche à l’échelle du troupeau la quantité d’aliments nécessaire diminue. Il est également possible de chercher à améliorer l’efficacité alimentaire de l’animal, c’est-à-dire maximiser sa capacité à valoriser une ration alimentaire pour une productivité donnée. Ces améliorations de la productivité et de l’efficacité alimentaire peuvent être obtenues par des techniques d’amélioration génétique.

À l’échelle d’un territoire, des solutions de réduction des consommations d’énergie existent grâce aux synergies qui peuvent se créer entre plusieurs exploitations. Par exemple le partage de machines agricoles entre plusieurs exploitations réduit à la fois les charges de chaque ferme, et l’immobilisation énergétique de la machine, c’est-à-dire son coût énergétique amorti sur sa durée de vie. L’immobilisation d’une machine agricole par exploitation est divisée par 3,5 en cas de mutualisation entre quatre exploitations. La principale limite actuelle à cette mise en commun est d’ordre purement organisationnel.

D’autres exemples de solutions de réduction des consommations d’énergie à l’échelle du territoire sont mises en œuvre dans le cadre des GIEE (Groupement d’Intérêt Economique et Environnemental), dont la formation est encouragée depuis 2006 par le ministère de l’Agriculture. Par exemple, dans le Rhône, un projet porté par la SCARA (Société de Conseil en Agriculture Rhône-Alpes) mobilise quatre groupes d’agriculteurs (deux groupes d’éleveurs et deux groupes de céréaliers) qui cherchent à réduire leur bilan énergétique, tout en maintenant leurs performances économiques. Ces différents groupes d’agriculteurs sont confrontés à des problématiques spécifiques : les éleveurs doivent acheter des aliments à l’extérieur et gérer les effluents de leurs animaux, tandis que les céréaliers, en raison de leur proximité avec une zone de captage d’eau potable, doivent réduire leur utilisation de fertilisants azotés et de produits phytosanitaires. Les aliments, les effluents et les fertilisants sont des postes de charges économiques et de consommations énergétiques élevés pour les agriculteurs. Quant à la consommation de phytosanitaires, elle est également une charge importante pour les exploitations et représente un enjeu pour la qualité de l’eau. L’expérimentation collective porte sur le développement de la culture de la luzerne, une légumineuse qui, pouvant utiliser l’azote de l’air pour synthétiser sa propre matière, ne nécessite pas d’emploi d’engrais azotés. Elle est également peu sensible aux ravageurs et aux plantes adventices, et requiert donc peu de produits phytosanitaires. Les céréaliers produisent et commercialisent la luzerne aux éleveurs, qui leur fournissent en échange les surplus d’effluents qui serviront à fertiliser les cultures des systèmes céréaliers. Naturellement le bénéfice de ce type de solution est fortement conditionné par le contexte territorial et économique (prix des matières premières, existence de filières de valorisation des légumineuses, etc.).

 

La qualité de vie au cœur de la transition énergétique en agriculture

La mise en place de l’ensemble des solutions visant à réduire les consommations énergétiques des exploitations ne doit pas faire oublier la problématique de la qualité de vie et des conditions de travail de l’agriculteur. Le fait que les agriculteurs cherchent à diminuer leurs consommations d’énergie contribue à donner une image positive d’eux-mêmes dans leur territoire. Cela peut faciliter les relations de l’agriculteur avecvoisinage direct (urbains ou ruraux non agriculteurs). Des études ont relevé des difficultés de cohabitation entre les agriculteurs et les autres usagers du territoire, ainsi qu’un besoin de reconnaissance éprouvé par les exploitants agricoles, au sein de ce territoire. Les principales sources de difficultés concernent les élevages et les « nuisances » perçues par le grand public (qu’elles soient justifiées ou non) : odeurs, bruits, déplacements d’animaux et, de façon plus générale, la pollution de l’eau. La mise en place de méthaniseurs par exemple, en plus de contribuer à la production d’énergie renouvelable, permet de stocker le lisier dans un environnement étanche, et donc de fortement réduire les odeurs. De même, l’optimisation des apports en engrais azotés (organiques et minéraux), en plus de répondre à un enjeu économique et énergétique, répond à un enjeu de la qualité de l’eau, auquel les habitants d’un territoire sont sensibles. La réflexion sur la transition énergétique peut ainsi s’inscrire dans une recherche de solutions pour une meilleure intégration des exploitations agricoles dans leurs territoires.

Par ailleurs, l’adoption de solutions réduisant les consommations d’énergie dans une exploitation agricole peut créer des contraintes organisationnelles et parfois rendre le travail de l’agriculteur plus pénible. Ce sont donc des questions auxquelles les agriculteurs sont confrontés dans leur démarche de transition énergétique. Par exemple, la culture de la luzerne est exigeante en termes de temps, d’horaires et de suivi au long terme. Pour la mettre en place, un agriculteur doit être disponible et avoir un niveau de technicité relativement élevé. Un exploitant agricole choisit de mettre en place une pratique sur plusieurs critères qui ne sont pas seulement environnementaux : son confort, son rythme de travail, et bien sûr son revenu.

Enfin, il est possible de faire l’exercice de remettre les consommations d’énergie de l’agriculture en perspective avec l’un des services rendus par l’agriculture à la société : la fourniture de biens alimentaires. L’agriculture française est le premier maillon de la production de biens alimentaires pour le marché intérieur et à l’export. D’après les estimations réalisées via l’outil ClimAgri® (outil de diagnostic Énergie.GES/performance nourricière des territoires agricoles diffusé par l’ADEME), la « ferme France », c’est-à-dire l’ensemble des exploitations agricoles du territoire métropolitain, était capable de nourrir près de 150 millions de personnes en 2011 (calcul réalisé d’après la méthode PerfAlim, du Céréopa, basée sur le contenu des matières premières agricoles en énergie valorisable en alimentation humaine). Ainsi, si l’agriculture est consommatrice d’énergie primaire (10 millions de tonnes « équivalent pétrole » en 2011/2012), c’est avant tout pour la convertir en énergie consommable par l’homme et répondre à un besoin crucial des populations.

 

 

 

[1]. Chiffres du RICA pour l’année 2007 : en moyenne par exploitation, 9% des charges variables sont consacrées à l’achat d’énergies directes, et 6% pour les carburants et combustibles.




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