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Coûts et prix de l'énergie (Jacques Maire)
Après avoir accepté d’écrire cet article, je me suis dit que j’avais été fort imprudent car des réflexions sur l’énergie il y en a plein les bibliothèques et elles disent une chose et son contraire, ce qui n’est pas surprenant car l’énergie est un problème à long terme où les données changent tout le temps.
Puis, je me suis rendu compte que les débats sur l’énergie montraient des échanges d’arguments où le rationnel n’avait pas toujours sa place et qu’il était peut-être utile de faire une présentation ordonnée, au moins des questions sinon des réponses.
Enfin, je me suis rassuré en me disant que tout le monde se trompe, mais qu’entre les experts il y a un consensus fort pour ne pas rappeler aux collègues leurs prévisions erronées.
Coût ou prix, il faut définir ce dont on parle. Le vendeur étudie son coût pour fixer son prix qu’il veut le plus haut possible, l’acheteur étudie le prix après avoir vérifié les caractéristiques du produit pour trouver le moins cher possible. Les économistes distinguent les coûts marginaux à court terme, les coûts marginaux à long terme ou coûts de développement, ou encore les coûts moyens. Tout dépend de la question posée. Dans la suite, sauf indication contraire, nous entendrons par coût celui du développement car le problème est d’investir pour faire face à des besoins croissants dans la durée.
Les énergies sont de natures diverses mais elles ont de larges domaines de substitutions possibles et, peu ou prou, elles évoluent dans le même sens avec des liaisons plus ou moins directes.
Les autres énergies suivent le mouvement du pétrole brut, même si c’est dans une fourchette assez large. Le marché mondial le plus complet est celui du pétrole car les produits sont faciles à définir, les transports sont aisés d’un bout à l’autre de la planète ; il a de vastes plages de recouvrement avec les autres énergies, il représentera longtemps une forte part de l’énergie primaire, il a avec les transports un large marché captif et toutes les utilisations sont ouvertes à ses dérivés.
Le pétrole ou la gestion des rentes
Tout part des dépôts géologiques qui ne sont pas encore tous connus, car une grande partie du monde n’a été qu’incomplètement explorée. Même aux USA où les recherches ont été très denses, on découvre encore du pétrole ! Ces dépôts ne sont gisements que si on les a repérés et si on sait aller chercher, à des coûts acceptables, le pétrole qu’ils contiennent.
Mais les techniques repoussent toujours les limites de l’accessible. Le record des forages terrestres est de 12 000 m ; on sait forer sous 3 000 m d’eau, on sait extraire toujours plus de pétrole de la roche qui le contient, mais ceci n’est pas gratuit et la croissance des performances s’accompagne d’une croissance des coûts.
L’augmentation des coûts reflète en fait plusieurs mouvements; le premier correspond aux progrès techniques qui diminuent les coûts à performance donnée, le deuxième est qu’on entreprend des choses de plus en plus difficiles avec des normes de sécurité de plus en plus strictes et le troisième est un phénomène de marché qui fait monter les prix du parapétrolier avec celui du pétrole. Dans le dernier «Outlook» de l’AIE il est dit que les dépenses d’Exploration-Production ont été multipliées par cinq entre 2000 et 2012, alors que dans la même période l’indice des coûts a été multiplié par deux.
Du pétrole il y en a, mais il revient plus cher à trouver et à développer ; il ne sera développé que si le prix assure la rentabilité. Aux cours actuels, les possibilités sont nombreuses (sous réserve des contraintes écologiques). Ces cours ne sont pas en contradiction avec la théorie des coûts marginaux de développement.
Le coûts s’échelonnent dans une grande échelle allant de moins de 10 $ pour les pétroles de l’OPEP à 100 pour des sables bitumineux ; il y a donc un formidable volume de rentes et le marché s’organise moins en fonction des prix de revient que dans la façon de gérer la rente.
Le coût complet ou le coût de développement est une chose, le coût marginal à court terme en est une autre ; de façon globale, une fois les investissements réalisés, le coût marginal de production est faible : en cas de baisse de prix, l’opérateur n’a aucune raison de fermer ; il peut par contre être tenté d’augmenter sa production pour maintenir ses recettes, s’il en a la possibilité technique, et pousser ainsi à la baisse des prix par augmentation de l’offre.
Du côté de la demande l’élasticité est faible surtout à court terme. Toutes les conditions sont réunies pour que le marché soit instable et puisse connaître des oscillations pouvant être de grande ampleur ; il suffit de se rappeler le contre choc pétrolier de 1985 où une spirale à la baisse s’est enclenchée ou encore l’envolée des prix en 2007.
Le prix du pétrole s’établit dans des transactions multiples et les «opérations papier» représentent plusieurs dizaines de fois les quantités physiques ; elles conduisent à des cours publiés qui sont un guide pour tous les acteurs. L’intervention à grande échelle des investisseurs financiers améliore la liquidité mais amplifie sans doute les fluctuations.
Il faut étudier maintenant les motivations des acteurs principaux que sont les pays producteurs et les compagnies pétrolières. Les pays n’ont plus la possibilité de fixer le prix comme on a pu le voir dans le passé avec les prix postés, mais ils ont un contrôle fort sur le niveau de production. C’est un pouvoir direct pour certains qui ont des compagnies nationales ; elles représentent 52% de la production mondiale et 88% des réserves. Même dans les autres pays, le gouvernement a le pouvoir sur les rythmes de production. Tous les pays font rentrer dans les finances publiques une forte partie de la rente ; ils ont donc intérêt à ne pas voir chuter les prix et ils connaissent la fragilité du marché.
Parmi les pays producteurs, il y a les membres de l’OPEP qui représentent 75% des réserves et 45% de la production ; leur objectif est de contrôler les quantités mises sur le marché pour maîtriser les prix. Parmi les pays de l’OPEP, un domine les autres, l’Arabie Saoudite qui a les plus fortes réserves, la plus forte production, les coûts les plus bas et, enfin, un système de production avec des marges à la hausse. Elle a donc les moyens d’agir. Beaucoup de discours critiquent cette organisation mais dans la réalité tous les pétroliers apprécient la discipline qu’elle introduit dans le marché. Le maintien de prix hauts est d’autant plus souhaité que la population de ces pays augmente et devient exigeante. Depuis le premier choc pétrolier, l’Arabie Saoudite a vu sa population passer de sept millions à près de 30 avec une sédentarisation quasi-totale et des besoins sociaux correspondants. Or, 80% des ressources viennent du pétrole ! À 90 $/b, 60% des pays de l’OPEP connaissent un déficit budgétaire.
Certains pays disent vouloir préserver les réserves pour les générations à venir et donc optimiser le programme de production pour le bien-être de leur population. Le Qatar a par exemple décidé un moratoire sur les extensions. À l’autre bout, on trouve les pays et les compagnies qui se lancent dans les pétroles difficiles à extraire ; ils ont aussi tout intérêt au maintien de prix qui ne les ruinent pas. À signaler le début des « shale oils » aux États-Unis, dont il est encore difficile de mesurer les effets. Mais si les prix montent trop la conjoncture économique se dégrade, la consommation diminue et le partage de la production entre les pays peut entraîner une dérive sur les prix. Autrement dit, vue des producteurs, la situation actuelle est un bon équilibre.
Pour les pays consommateurs, la première réponse est évidemment que les prix sont toujours trop chers mais ils ont tous engagé des programmes d’énergies nouvelles ou d’économies d’énergie dont la rentabilité diminue avec le prix ; leur rêve serait que le prix diminue et qu’ils puissent taxer les consommations de façon à remplir les caisses de l’État et inciter à recourir à d’autres énergies ; mais une telle perspective ne peut que révulser les producteurs. À défaut, avoir une perspective de prix relativement stable permet de bâtir une politique mais la certitude n’existe pas.
Le gaz ou le rêve de l’âge d’or
En 2011, l’AIE prévoyait l’âge d’or du gaz qui semblait avoir moins de défaut que les autres énergies, que ce soit sur le plan environnement, géopolitique, etc. Aujourd’hui, les gaziers européens font grise mine, leurs ventes diminuent à cause de la conjoncture mais aussi de la concurrence du charbon américain, lui-même déplacé par le gaz de schiste. Beaucoup mettent en cause l’indexation sur le pétrole.
Essayons d’y voir plus clair: au niveau de la production, le gaz a des caractéristiques similaires au pétrole avec lequel il est parfois produit ; pour les producteurs, le problème est de maximiser la rente mais le cheminement vers le marché ne présente pas les mêmes caractéristiques. En premier lieu le gaz n’a pas de marché captif, il ne se place que s’il est compétitif, d’autant plus qu’il est en développement et que les décisions des acheteurs nouveaux sont ouvertes. Ensuite il se transporte mal : c’est coûteux et ce n’est pas souple ; à l’évidence un gazoduc est fixe et le transport par GNL demande des installations lourdes. Il n’y a donc pas actuellement de marché mondial mais un marché européen, un marché asiatique et un marché américain, avec des trafics relativement stables.
Les marchés diffèrent aussi par les utilisations ; en Asie le GNL va vers les centrales électriques en concurrence avec les bruts légers, alors qu’aux USA et en Europe les débouchés sont plus diversifiés. Pour le gaz les USA sont actuellement complètement isolés du reste du monde depuis le développement des gaz non conventionnels qui les ont rendu autosuffisants. Leur prix actuel est en dessous du coût marginal de développement des gisements secs, ce qui s’explique par le développement trop rapide des capacités de production (les recherches ont commencé à ralentir) et par le fait qu’une partie du gaz est associée à du liquide. Or ce dernier suffit à rentabiliser l’opération.
La question actuelle est de savoir si les USA vont exporter en quantité notable, ou vont vouloir garder l’avantage que constituent ces ressources. Il y aura au moins des transports d’arbitrage et ils devraient entraîner un certain rapprochement des prix (l’Interconnector avait fait monter les prix britanniques). Les utilisateurs de gaz aux USA garderont cependant un avantage par rapport aux Européens et aux Asiatiques correspondant aux coûts de la chaîne de transport du GNL (4 à 6 $/Mbtu).
En Europe et en Asie, le gaz est actuellement régi par des marchés à long terme pour une large part et ils le resteront sans doute encore longtemps pour permettre les investissements importants et rigides nécessaires au développement. Les USA sont un cas à part car la densité des gazoducs et la multiplicité des producteurs permettent l’existence d’un marché fluide. Le prix du gaz se forme dans les contrats à long terme par une formule d’indexation, essentiellement aujourd’hui sur les produits pétroliers ce qui correspondait à la concurrence traditionnelle. Personne ne conteste la nécessité des contrats et d’une formule mais c’est la nature de cette dernière qui pose problème car les contrats à long terme sont aujourd’hui plus chers que le marché spot.
Ce dernier a fortement baissé par suite d’un excèdent de gaz sur le marché dû à la crise économique mais aussi comme une conséquence du gaz de schiste américain qui avec ses prix très bas s’est substitué au charbon ; les producteurs ont donc cherché des débouchés en Europe pour les quantités libérées dans la production électrique. Il faut que vendeurs et acheteurs fassent preuve d’imagination pour mieux traduire la situation concurrentielle étant rappelé que le prix spot n’a pas de raison d’être systématiquement inférieur aux contrats à long terme. Si les USA sont isolés, les effets réciproques entre marché européen et marché asiatique vont se renforcer: à relativement court terme à cause du GNL car les cargaisons du Moyen Orient peuvent aller vers l’ouest ou vers l’est, et à plus long terme, si les gazoducs entre la Russie et la Chine, ou entre l’Iran, ou le Turkménistan et l’inde voient le jour. Les Européens devraient payer un peu moins cher car les distances de transport sont plus courtes et le marché moins demandeur.
Le charbon, l’énergie tranquille
Le charbon, la plus ancienne des énergies fossiles, est présenté, suivant les papiers, comme l’énergie du passé ou l’énergie de l’avenir. Les deux sont vrais ; l’Europe a fermé ses mines mais d’autres continents en ouvrent à grande échelle. La force du charbon vient des réserves et de leur localisation. Sa faiblesse est qu’il n’a, vis-à-vis des autres sources d’énergie, aucun avantage au niveau de l’acheminement et de l’utilisation et que son principal et presque seul argument est son prix : il doit être (il est) un peu moins cher que les autres.
Comme pour le pétrole et le gaz, les producteurs cherchent à maximiser la rente minière mais pour eux le coût marginal à court terme de production est important, ce qui peut justifier des arrêts d’activité en cas de baisse de prix. Son marché est essentiellement la production d’électricité et quelques gros utilisateurs, sans parler du charbon à coke. Son principal concurrent est le gaz avec lequel des substitutions assez rapides et importantes peuvent se faire. Le commerce international est peu développé (environ 17% de la consommation) ; il n’y a pas de marché international du charbon ; il y a des transactions importantes entre grands acteurs.
La grande incertitude pour le charbon réside dans la politique des pouvoirs publics concernant la pollution et le développement durable car c’est le plus polluant. Que les mesures soient sous forme de normes ou de coût du CO2, la compétitivité du charbon est dégradée. Dans l’avenir, son prix suivra les mouvements de l’énergie avec un différentiel plus ou moins grand suivant les règles environnementales.
L’énergie nucléaire, le domaine de la technique
Contrairement aux énergies précédentes nous ne sommes plus dans la gestion de rentes minières, car le coût des minerais est très faible dans les techniques de production. La compétitivité assurée aujourd’hui par rapport aux productions thermiques dépendra dans l’avenir du coût de construction et du coût d’exploitation des centrales nucléaires. Les soucis de sécurité renchériront certainement l’un et l’autre mais ne devraient pas mettre en cause cette compétitivité. L’incertitude majeure réside dans l’acceptabilité du nucléaire qui est le seul compétiteur crédible à grande échelle aux énergies fossiles.
Les énergies nouvelles, domaine du volontarisme
Comme pour le nucléaire il n’y a pas de rente minière à gérer ; l’avenir dépend des progrès techniques. Actuellement les prix de revient sont beaucoup plus élevés que pour les techniques classiques ; il y a des marges importantes de progrès et les coûts des compétiteurs devraient augmenter. Tout dépend des paris qu’on est prêt à prendre.
La comparaison économique est d’ailleurs malaisée car les énergies nouvelles sont intermittentes et on est encore dans le flou sur les conséquences de cette intermittence. Le quasi arrêt de centrales à gaz récentes montre la difficulté du problème. Leur développement réside actuellement dans le volontarisme des gouvernements qui veulent imposer leur croissance pour combattre les émissions de CO2 ou créer un secteur industriel. L’effet immédiat est un renchérissement pour le consommateur ; elles ne sont pas près d’influer sur le coût des autres énergies à qui elles fournissent même une référence élevée.
Le consommateur
Nous avons parlé essentiellement des problématiques de l’amont mais, pour le citoyen moyen, le prix de l’énergie c’est l’essence à la pompe ou l’éclairage et le chauffage de sa maison et dans ces prix le coût de l’amont est minoritaire. Dans un litre d’essence le brut représente environ le tiers du prix pour le client final. La différence couvre bien sûr les dépenses qui permettent de livrer sur place au consommateur le produit utilisable.
Mais c’est aussi le résultat des décisions des pouvoirs publics : dans le cas de l’essence c’est une assiette fiscale comme une autre avec en contrepartie l’entretien des routes ; pour l’électricité et le gaz cela couvre des actions plus spécifiques aux secteurs, en particulier la promotion des énergies nouvelles et des actions sociales. Le résultat est que les taxes ou contributions représentent près de 60% dans le cas de l’essence, 30% pour l’électricité et un peu moins de 20% pour le gaz. Comme beaucoup d’autres, cet article pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses !
Nous pouvons quand même faire quelques observations. La première, c’est que les raisons de voir une baisse des prix de l’énergie avant le très long terme sont difficiles à trouver. Mais des oscillations importantes peuvent toujours se produire. La deuxième est que les énergies se positionnent les unes par rapport aux autres et qu’il n’y aura pas d’énergie miracle qui s’impose dans l’absolu par rapport aux autres. La troisième est que le rôle des États est déterminant, que les pays soient producteurs ou consommateurs. La quatrième est que la facture payée par le consommateur dépend de son comportement, c’est-à-dire de sa façon de consommer plus ou moins efficacement.
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